Première question pour toi Robert: Dois-je t’appeler mon Père ou par ton prénom ? Robert Culat : Cela n’a aucune importance pour moi. L’essentiel n’est pas dans les appellations (idem pour le vouvoiement ou le tutoiement) mais dans le respect. Certaines personnes m’appellent "Monsieur l’abbé" avec une froide distance, quand ce n’est pas avec un regard hautain… Les chrétiens de la paroisse m’appellent comme ils le sentent, et c’est bien ainsi, mais j’avoue que je préfère la simplicité et que Robert me va très bien ! Jésus n’a jamais encouragé ses disciples à se faire donner des titres… Après la paternité spirituelle du prêtre est une réalité magnifique, mais ça c’est le fond des choses !
Peux-tu te présenter brièvement ? Robert Culat : Né en 1968 à Marseille, je me suis converti à la foi catholique à l’âge de 13 ans. J’ai fait des études littéraires au lycée de Cavaillon (BAC A2) et je suis entré au séminaire d’Avignon (maison de formation pour les futurs prêtres) en 1986. Après le premier cycle (2 ans) j’ai fait mon service militaire en Allemagne (pays que j’aime beaucoup). A mon retour on m’a demandé de poursuivre et d’achever mes études au séminaire français de Rome. Cela abouti au bout de 5 ans à une licence canonique en philosophie (cette matière a toujours eu ma préférence sur les autres au séminaire). J’ai été ordonné prêtre pour le diocèse d’Avignon en 1993. Depuis j’ai exercé divers ministères dans le Vaucluse, la plupart du temps auprès des jeunes. Je suis actuellement vicaire à Carpentras, aumônier des lycées publics et des Scouts et Guides de France.
Et toi Nicolas ? Nicolas Walzer: Je suis sociologue (enseignement, publications, direction d’ouvrages, recherche dans un laboratoire, organisation, participation à des colloques) même si j’utilise beaucoup l’anthropologie et la philosophie pour mes travaux (d’ailleurs le domaine de compétence de mon doctorat est "sciences sociales" précisément) ainsi que l’histoire (puisque j’ai aussi une maîtrise d’histoire). Mes thèmes de recherche : minorités culturelles et religieuses, nouvelles spiritualités, paganisme, sectes, ésotérisme, satanisme, Nietzsche…
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Myspace Nicolas WalzerA ce propos, comment peut-on humainement faire des études poussées de sociologie ? Nicolas Walzer: C’est toujours une question douloureuse pour les chercheurs en sciences humaines. Car une thèse de doctorat sur un thème culturel implique de plus en plus de sacrifices. Cela demande un très long investissement autant financier que moral et familial. Personnellement et nous sommes nombreux dans ce cas, je n’ai jamais reçu aucune aide financière venant de l’Etat durant mes dix années post-bac (deug de Staps, ensuite maîtrise d’histoire, et enfin doctorat de sociologie). Si j’avais travaillé sur l’insertion professionnelle, là j’aurais pu trouver facilement des subventions… Tout a été à mes frais : déplacements pour rencontrer les enquêtés, frais d’impressions de 400 € au total pour 8 exemplaires de ma thèse de doctorat de 700 pages…, 400 € d’inscription par an pendant dix ans… et bien sûr toutes les dépenses de la vie quotidienne… C’est d’ailleurs ce qui horrifie mes collègues des sciences dures qui pensent que c’est tout simplement impossible de faire une thèse sans financement ou bourse…
Le fait que les sujets a priori "exotiques" ne soient pas financés explique pourquoi il y a peu de thèses les concernant. Tu vois donc que cela demande de véritables sacrifices sans compter le fait d’être "zombifié" durant les quatre derniers mois de rédaction et de le faire subir à son entourage.
Et toi Robert, qu’est-ce qui t’a poussé à être prêtre ? Et dans un second temps quand on l’est devenu ; pourquoi s’intéresser au phénomène métal en général, style musical opposé à l’idée général de la religion ? Robert Culat : Le sacerdoce, le fait d’être prêtre, ne s’explique ni ne se comprend si l’on en reste justement à un horizon simplement humain. Le fait de devenir prêtre répond toujours à un appel de la part de Dieu et de l’Eglise. C’est une vocation, et une vocation ne peut se percevoir et se comprendre que dans la foi. Ce qui fait qu’un athée ne peut pas comprendre ce qu’est la vocation de prêtre. Comment suis-je devenu prêtre ? Chaque prêtre répondra de manière très personnelle à ta question, les itinéraires sont variés. Pour moi, en résumant au maximum, cette idée a germé en moi en même temps que ma conversion et ma première communion à l’âge de 13 ans. Avec deux grandes motivations à cette époque : remercier Dieu pour le don de la foi (un trésor qui semble devenir de plus en plus rare en France !) en lui consacrant toute ma vie et le désir de célébrer la messe.
Dans les années lycées, une autre grande motivation s’est ajoutée : témoigner du bonheur de croire auprès des jeunes. Paradoxalement c’est en constatant que la plupart des jeunes autour de moi étaient athées, ou plutôt ignorants et indifférents, que je me suis dit que ça valait le coup de donner ma vie pour plus tard être un témoin de Dieu parmi eux. Après, l’Eglise nous donne le temps de vérifier, avec l’aide d’autres personnes, si notre vocation est solide : ma formation a tout de même duré 8 ans ! Et ce n’est qu’au terme de la 6ème année que l’on s’engage vraiment sur ce chemin avec l’ordination diaconale.
Et pourquoi s’intéresser au phénomène métal en général, style musical opposé à l’idée général de la religion ? Robert Culat : Si je me suis intéressé à la musique métal, ce n’est pas par une inspiration du Saint-Esprit ! Mais tout simplement parce que mon ministère d’aumônier de lycée m’a mis en contact avec deux métalleux en 94, et que ma curiosité intellectuelle a fait le reste, ainsi que mon goût pour les cultures "underground". Tu parles de style opposé à la religion… Eh bien mon itinéraire personnel a été original, puisque j’ai rencontré le métal par deux jeunes catholiques qui fréquentaient l’aumônerie et avaient fait première communion, profession de foi et confirmation !
Pour moi c’est leur look qui me semblait paradoxal par rapport à leur identité catholique, et c’est d’ailleurs grâce à leur look que ma curiosité a voulu en savoir plus. Mais je n’ai pas perçu d’abord le métal sous son aspect conflictuel avec la religion, tu vois pourquoi maintenant. C’est un aspect qui est venu plus tard dans ma phase de découverte. Cet aspect ne m’a cependant pas arrêté, mais bien plutôt motivé à aller de l’avant dans la compréhension de cette culture. Je ne me suis pas contenté de l’éternel constat fait dans la plupart des milieux religieux : il y a du "satanisme" dans cette musique, mais j’ai voulu savoir "Pourquoi ?", et c’est ce qui a motivé toute ma recherche par la suite.
Et toi Nicolas ? Nicolas Walzer: Pourquoi le métal ? Simplement parce que je savais comment aborder ce thème et avoir accès aux acteurs sans problèmes. Car c’est souvent un gros hic pour certains chercheurs : beaucoup de milieux refusent de se laisser "disséquer" de long en large (je plaisante souvent avec cela en disant que je suis zoologue du métal tant certains cris lors de festivals font penser à des huchements, grognements animaux (rires)). Mais surtout je me suis rendu compte rapidement que ce mouvement en particulier et pour lui-même n’avait jamais été étudié en sociologie dans le cadre d’une thèse de doctorat. Une recherche sur ce thème manquait donc beaucoup. Surtout si on compare avec le jazz, la techno, ou le rap qui ont commencé à être étudiés bien avant.
Question cliché : Nicolas, toi qui étudies le métalleux de base : peux-tu nous en faire un rapide descriptif ? Nicolas Walzer: Le mouvement métal est devenu si complexe et si diversifié entre les quelques black métalleux d’origine européenne, très à droite, fans de Hate Forest, adeptes des chalets en forêt et les rappeurs/métalleux d’origine africaine, d’extrême gauche, avides d’urbanité et fans de Rage Against The Machine ; entre le métalleux de 60 ans fan d’AC/DC depuis leurs débuts au jeune de 14 ans fan du néo-metal de Slipknot…qu’on ne peut dresser véritablement de portrait-type du "métalleux de base" aujourd’hui. J’ai essayé de le faire dans une interview donnée à Ouest France bien trop courte et qui tronquait forcément un peu mes travaux. Il faut donc raisonner par catégories.
A ce propos, quelles sont les catégories de métalleux possibles (la blague du chevalier métal décliné sur les modes black, death, glam, prog… livrant bataille de façons différentes selon la catégorie pour sauver sa princesse ne compte pas) Nicolas Walzer: Pour catégoriser, chaque branche majeure du métal correspond à une génération de métalleux spécifique. Mon collègue et ami Alexis Mombelet a dégagé trois publics métal. Je les expose en les commentant :
- le
public métal souche constitué des styles fondateurs : hard rock et heavy metal avec des groupes comme AC/DC, Metallica, Iron Maiden, Led Zeppelin. Sachant que pour ce public métal souche, Black Sabbath est le groupe pionnier. Led Zeppelin, Deep Purple voire Steppenwolf jouaient du hard rock, ils représentent la transition du rock au métal. Les heavy métalleux d’aujourd’hui ont été en premier lieu influencés par le groupe d’Ozzy Osbourne, fondateur de la symbolique enténébrée du métal. Ils sont les plus vieux (de 35 à 60 ans).
- Le deuxième public est le
public métal alternatif rassemblant des groupes hybrides avec des fans plus jeunes et adolescents, entretenant des rapports plus ou moins étroits avec d’autres tribus urbaines comme le rap, le punk et surtout le hardcore. Les groupes les plus représentatifs sont Korn, Slipknot (et le phénomène du néo-métal), Marilyn Manson, Rammstein.
- La dernière grande catégorisation est le
public métal extrême. À l’inverse du public métal souche, il est plus jeune (moins toutefois que le public métal alternatif) et admet parfois des musiciens qui ne se reconnaissent pas dans les groupes fondateurs des années soixante-dix comme les black métalleux français d’Arkhon Infaustus dont le groupe de référence est Slayer.
Pour affiner cette catégorisation, on peut établir des signes distinctifs à plusieurs tiroirs qui normalisent l’appartenance métallique. On peut subsumer la tribu sous trois unités de différenciation sur l’exemple des poupées russes :
– une unité générale qui identifie l’individu comme métalleux dans la société. Elle englobe tous les genres de métal.
– une sous-unité qui le différencie cette fois-ci de la gent des métalleux : il arbore le look du sous-style qu’il affectionne : black, death, gothic, heavy… il est alors un black métalleux, un death métalleux, un heavy métalleux…
– une troisième sous sous unité : le black métalleux ou le death métalleux se différencie de son sous-style d’appartenance par un look qu’il veut propre à lui-même. Untel va porter ses symboles dans sa poche, untel va porter une croix égyptienne, une veste à épaulettes par souci de faire plus adulte… On est ici dans un troisième ensemble particulièrement identitaire.
Les processus de différenciation qui définissent ces unités successives concernent autant les tenues vestimentaires, le port des cheveux longs ou du crâne rasé, les bagues, croix et symboles, que l’aspect comportemental ou langagier. Le métalleux qui choisit d’endosser un sous-style, veut se parer de ce qu’il considère comme une aura en rupture avec le précédent style qu’il arborait. Ce type de démarche peut se retrouver également dans les différentes adhésions aux mouvements occultistes. De nature culturelle, le passage d’un groupe à un autre correspond à une évolution des idéaux de l’individu, il recherche toujours un positionnement qui épouse le plus son tempérament du moment. Mais c’est avant tout "un monde" qu’il recherche dans le sens de monde qui enveloppe son existence.
Pour finir, je précise bien que cette typologie n’est pas là pour "enfermer" des comportements (en effet certains éprouvent souvent un malaise vis-à-vis des étiquettes), mais c’est juste un outil méthodologique pour permettre de mieux réfléchir et débattre. Ce n’est donc pas un verdict péremptoire mais une
proposition pour structurer une réflexion . Bâtir des fondations saines permettant un débat riche et contradictoire. C’est le nœud gordien du problème entre pro-Hellfest et anti-subventions Hellfest qui produit un dialogue de sourd. Avec des fondations branlantes, la maison s’écroule…
Robert Culat : Les trois "types" de métalleux présentés par Nicolas correspondent bien à la réalité et sont utiles en effet pour "structurer la réflexion". Je sais à quel point beaucoup de métalleux sont allergiques à cette catégorisation. Je les comprends d’ailleurs. Quand on me demande comment je me situe en tant que prêtre catholique (traditionaliste, progressiste etc.), je suis légèrement agacé et j’ai envie de répondre que ma personnalité ne se réduit pas à une étiquette et que je me retrouve davantage dans une dénomination large comme celle de prêtre catholique justement.
Dans mon livre, j’avais étudié ta question sous l’angle du tempérament. En schématisant (c’est nécessaire si l’on veut opérer des distinctions compréhensibles), j’avais repéré deux types de tempéraments métalleux :
"Il n’en reste pas moins vrai que du point de vue de la sociabilité on peut généralement repérer deux "tempéraments métalleux". Il y a le tempérament que nous qualifierions d’élitiste et de misanthrope. Les fans ayant ce tempérament considèrent que le Métal est bien plus qu’une simple musique. C’est quelque chose de sérieux et d’exigeant. C’est quelque chose qui finit par ne faire plus qu’un avec leur personne et leur existence. Bref, c’est un culte ! A l’opposé, nous trouvons un tempérament que nous qualifierions de "bon enfant" ou "fêtard". C’est le métalleux "heureux et grégaire". Les fans ayant ce tempérament considèrent le métal comme un exutoire, un excellent moyen de se défouler. Les plus intellectuels parleront même de catharsis ou de purification. C’est ce tempérament qui est l’héritier de l’esprit rock et plus tard hard rock. Bref le Métal ce n’est pas fait pour "se prendre la tête". C’est juste une musique, même si c’est bien sûr la meilleure du monde. Ce tempérament n’exclue pas la notion de "culte". Simplement, il la vivra généralement sur un mode "festif", très différent du premier tempérament." (In L’âge du métal, page 107).
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Myspace Robert CulatCe que j’affirme ici ainsi que la catégorisation de Nicolas ne sont pas des constatations qui ont pour but d’enfermer le métalleux dans une case. Une personne est toujours une réalité complexe et vivante, donc aussi capable d’évolution. Ici il s’agit simplement de relever une tendance dominante dans un tempérament.
La description que vous en faîtes est, somme toute, très éloignée du cliché actuellement diffusé sur les médias de grande diffusion ; pourquoi ? Nicolas Walzer: Depuis longtemps, il y a un contentieux entre journalistes et sociologues. Pour moi, il ne s’agit pas de condamner, d’encenser ni de juger la musique métal. Il est nécessaire de la considérer comme un objet d’étude comme un autre. Or, justement la tradition journalistique n’a jamais pu entrevoir (hormis quelques cas isolés) cette musique et le satanisme autrement qu’en les folklorisant.
Certains journalistes sont victimes de dispersion et ne prennent pas le temps minimum pour se renseigner et adopter une posture phénoménologique et compréhensive. Il s’ensuit des erreurs d’interprétation et des papiers que certains métalleux jugent "comiques" et d’autres "révoltants". Car les journalistes qui traitent de ces questions sont souvent des "fais-diversiens" (comme ils disent dans leur jargon) et donc, ne peuvent être spécialistes de toutes les questions qu’ils traitent. C’est le profil même du journaliste, la façon dont il a été formé qui pose problème je pense et non les personnes en elles-mêmes. Bourdieu en a très bien parlé dans son livre sur la télévision. Mais il existe bien entendu des exceptions.
Robert Culat : J’ai été confronté personnellement à trois reprises à des journalistes télé (TF1, M6 et ARTE). Deux mini-reportages appartiennent au passé (TF1 lors du JT de 20h et M6 pour 100% MAG), le dernier en date, plus long, devrait être diffusé sur ARTE d’ici la fin de l’année (TRACKS). J’ai senti une nette différence entre l’équipe de TF1 et celle de M6. Autant le travail des journalistes de TF1 m’a semblé honnête et objectif, autant celui des journalistes de M6 m’a déçu. En même temps je ne leur jette pas la pierre et je me pose la question suivante : quelle liberté réelle ont ces journalistes par rapport aux directives et à l’orientation de la chaîne télé qui va leur acheter leur reportage ? J’ai l’impression que leur marge de manœuvre est assez réduite. Le reportage de M6 (un petit reste de 2 minutes sur environ 10 heures de tournage !) est-ce que j’appelle du reportage-fiction. La réalité n’est pas décrite, ni observée, elle est construite dans un but bien particulier. Donc c’est quelque part de la manipulation envers le téléspectateur.
Je ne donnerai ici que deux exemples pour bien faire comprendre certaines méthodes de travail journalistique. Le reporter m’a posé une question, j’y ai répondu. 5 minutes plus tard, il me la repose, je réponds à nouveau. Il récidive une troisième fois, et là je m’énerve en lui faisant remarquer que j’ai déjà répondu. Et lui de me dire : oui, mais il faut reformuler votre réponse, car elle est inaudible pour les téléspectateurs. Ils ne comprendront pas une réponse aussi nuancée. Donc, soyez plus direct ! En fait le journaliste veut entendre sa réponse et non pas la mienne, et c’est donc un problème de taille !
Deuxième exemple : il me filme assis sur mon fauteuil, chez moi, en train d’écouter l’un de mes CD de métal, puis il arrête, en me disant : ce n’est pas assez vivant, vous ne pourriez pas taper des pieds, hocher la tête (headbanging) ? Je lui réponds que je ne le fais pas d’habitude et que je ne vois pas pourquoi je prendrais une pose parce que je suis filmé pour la télé…
En fait, on s’aperçoit que les clichés ont la vie dure un peu partout : le rappeur est un jeune casseur de banlieue, l’amateur de techno, un drogué et donc, le métalleux un sataniste…. Pourquoi à tout prix vouloir marginaliser la jeunesse quelle qu'elle soit ? En bref, quel est l’intérêt de cette culture de peur ? Mais on parlait de techno, rap… il n’empêche que ces cultures ont énormément de moyens d’information : pourquoi est-ce que la culture metal est-elle si sous-médiatisée et lorsqu’elle l’est, c’est dans le cadre d’une désinformation radicale qui fait que c’est la seule culture dont on peut constater un certain dégoût/appréhension de la part de la société au contraire des autres ? Nicolas Walzer: Le fond du problème est que les clichés liés aux loubards typés Hells Angels, fans de Motörhead (des années 70, 80) sont toujours véhiculés par les médias en parlant des métalleux. Sauf que cela ne correspond plus à rien. Le public métal s’est énormément diversifié et ce type de loubards avec leurs Harley à la Sons Of Anarchy (série américaine) est devenu ultra minoritaire. Or cela arrange énormément les médias d’entretenir ce cliché. Et comme beaucoup de gens ne prennent pas le temps de vérifier ces clichés, l’image du métalleux fait penser à de la délinquance.
Or il faut différencier la marginalité sociale (la délinquance) qui est subie, de la marginalité culturelle (les tribus rap, techno, métal…) qui est choisie. Il s’agit de deux choses bien différentes (sur lesquelles je vais revenir à la fin de cette interview).
Depuis une quinzaine d’années, des centaines d’articles de presse amalgament métal/gothic et satanisme jusqu’à véhiculer une inquiétante désinformation. Elle a entraîné des tensions dans les relations parents-adolescents. Uniquement parce qu’ils s’habillaient en noir, portaient des pendentifs et écoutaient une musique violente, certains jeunes se sont vus catalogués de "satanistes" par leurs familles et ont été obligés de se raser les cheveux, de jeter tous leurs CD, de ne plus fréquenter leurs amis, de fuguer… Ces empoignades sont toujours très vivaces dans certains milieux très religieux et conservateurs, ce qui motive parfois des ruptures définitives. "La faute aux journalistes !" diraient certains. Quoi qu’il en soit, la plupart ne faisaient que reprendre les conclusions erronées voire diffamatoires de certaines personnes malheureusement trop écoutées par les instances officielles.
Le plus grave est que ces discours alarmistes entrent parfaitement dans la logique commerciale de certaines TV comme TF1 ou M6 qui sont ravies de faire de l'audimat tout en le justifiant par la nécessité d' "informer".
On a tort donc de dire que tous les médias sont contre le métal. Il ne s’agit que de deux ou trois mais qui sont très influents. Les autres médias préfèrent simplement ignorer le métal, et se tournent volontiers vers le rap car ils ont l’impression de "faire du social" en parlant de cette musique qu’ils pensent liée directement aux problèmes des banlieues. Cela vient aussi d’un problème de génération et de formation : les responsables de ces médias n’ont pas été initiés au métal et ne le seront sans doute jamais. Le formatage dans l’enfance à une musique particulière qui inclue un réseau de sociabilité en accord (c’est presque une loi sociologique) empêche l’individu de découvrir d’autres univers musicaux. Il est très rare qu’un patron de chaîne de 50 ans formaté à Mozart fasse la démarche d’aller découvrir le métal. C’est une autre planète pour lui.
Même si encore une fois, on a des exceptions mais qui restent marginales. On rencontre maintenant des hommes politiques de 50 ans qui aiment le métal, mais aussi la musique industrielle, et qui vont en concert, tout comme on a vu dernièrement une grand-mère de 80 ans qui a reçu les membres de Metallica dans son salon, groupe qui l’a aidé à se sortir de son cancer selon elle (ceci dit l’exemple est anglo-saxon donc bien différent de la France).
En voyant cette logique commerciale et clichesque fonctionner sur le cas du métal, on peut légitimement s’inquiéter sur la qualité de l’information sur d’autres thèmes marginaux et propices à polémique comme les sectes. Travaillant aussi sur ce thème, j’ai pu observer en effet la même logique anti-rigoureuse. On ne définit même pas ce qu’est une secte…. De fait, on peut comprendre pourquoi de plus en plus de membres de cultures alternatives ne regardent plus la télé en faveur du net. On voit d’ailleurs que TF1 est en pleine période de restructuration à ce niveau là car leurs audiences sont historiquement très basses ces derniers temps.
Robert Culat : Par rapport à un aspect soulevé ici par Nicolas, je suis heureux de constater que mon livre a parfois atteint son but en tant que "livre-dialogue", particulièrement entre des parents inquiets, souvent croyants, et leurs enfants, fan de métal. Ainsi une maman et un jeune m’ont remercié et même invité chez eux, car grâce à mon livre ils ont pu renouer entre eux le dialogue et mieux se comprendre. C’est la plus belle des récompenses pour moi, car elle correspond parfaitement au but de mon livre qui est d’ordre concret davantage que théorique : susciter au maximum le dialogue.
En même temps, je ne cache pas que ma position bienveillante envers le métal, ou disons ouverte, m’a causé aussi quelques petits ennuis. Des fois des adultes très effrayés par le danger que représenterait le métal pour leurs enfants me posent certaines questions. Et lorsque ma réponse ne va pas abonder dans leur sens, celui de la peur, de la condamnation et donc de l’interdiction, je me fais traiter de mauvais prêtre ! Je peux être accusé de "diviser" les familles car certains jeunes ont lu mon livre et s’appuient sur lui pour défendre leur passion musicale face à des parents très intransigeants.
Nicolas Walzer : Robert résume ici tout l’intérêt des sciences humaines : susciter le dialogue à partir d’une position argumentée, distanciée et réfléchie (c’est exactement ce que disait le père de l’école française de sociologie, Durkheim). C’est toujours ma motivation lorsque je publie un livre et c’est semble t-il ce qui explique le succès en terme de ventes de nos ouvrages respectifs (
Anthropologie du métal extrême,
Du paganisme à Nietzsche.
Se construire dans le métal, pour le dernier et
L’Age du métal, qui sont souvent achetés ensemble d’ailleurs). (J’en profite pour remercier ici tous les lecteurs qui m’ont envoyé des mails très touchant et les universitaires pour leurs demandes de conférence).
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